Les équipes de l’unité de médecine translationnelle et thérapies ciblées de l’hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, de l’Inserm, de l’université Paris Cité au sein de l’Institut Necker–Enfants Malades, coordonnées par les professeurs Guillaume Canaud (Université Paris Cité, AP-HP) et Laurent Guibaud (Hospices Civils de Lyon, Centre de référence des anomalies vasculaires superficielles), ont mené une étude montrant un effet prometteur du médicament anticancéreux sotorasib pour les malformations artérioveineuses secondaires à une mutation du gène KRAS de type G12C.
Les résultats ont fait l’objet d’une publication parue le 17 juillet 2024 dans la revue New England Journal of Medicine.
Une malformation artérioveineuse (MAV) résulte de connexions anormales entre les artères et les veines. Les MAV sont fréquemment associées à des symptômes de type douleurs, saignements, insuffisance cardiaque, déformité esthétique ou à des compressions d’organes. Ces malformations progressent en général au fil du temps. Les MAV sont dans la plupart des cas d’origine génétique, soit « germinales » donc familiales, soit sporadiques dues à une mutation génétique localisée. Dans nombre de ces derniers cas, le gène responsable est le gène KRAS, un gène impliqué dans la croissance, la prolifération et la survie cellulaire. Il existe différents types de mutation KRAS. Pour le moment, aucun traitement médicamenteux n’est approuvé dans ces pathologies.
Le sotorasib, développé par le laboratoire Amgen, est un médicament anticancéreux utilisé pour traiter un type de cancer du poumon, le cancer du poumon non à petites cellules (CBNPC) avancé, présentant une mutation du gène KRAS, la mutation KRAS G12C. Le médicament cible ainsi de manière sélective la protéine KRAS p.G12C.
Les équipes des Professeurs Guibaud et Canaud ont identifié la présence d’une mutation KRAS G12C chez deux patients adultes ayant des MAV sévères et sans ressource thérapeutique. Ils ont alors décidé de créer deux modèles de souris développant des malformations vasculaires secondaires à une mutation KRAS G12C afin de mieux comprendre la physiopathologie de ces malformations. Les modèles précliniques ont en grande partie récapitulé les malformations observées chez l’homme. Grace à ces deux modèles, ils ont ensuite testé et démontré l’efficacité du sotorasib pour prévenir le développement des malformations vasculaires et améliorer significativement la survie des souris.
Fort de ces résultats, les Professeurs Guibaud et Canaud ont obtenu une autorisation d’utilisation du sotorasib par le laboratoire Amgen pour l’administrer à ces deux patients dans le cadre de leur prise en charge thérapeutique. Dans les semaines suivants le début du traitement, les deux patients ont noté une amélioration nette de leurs symptômes (arrêt des saignements, cicatrisation d’ulcérations cutanées chroniques, disparition de la douleur et récupération d’une surdité), une réduction cliniquement visible de la malformation. Ce dernier résultat a ensuite d’ailleurs été confirmé par IRM. Après 2 ans de suivi, les patients n’ont pas développé de résistance au traitement.
Ce travail démontre l’intérêt d’obtenir un diagnostic moléculaire pour ce type de maladies rares et la possibilité de repositionner des médicaments très ciblés développés pour d’autres indications, comme les chercheurs l’avaient fait précédemment pour l’alpelisib dans le syndrome de CLOVES et les syndromes apparentés.
Ces résultats devront être confirmés par des études à venir sur un nombre plus important de patients. Ces repositionnements médicamenteux ouvrent de nouveaux champs thérapeutiques, en particulier pour les MAV, pour lesquelles ces médicaments pourraient être combinés à une prise en charge chirurgicale ou en radiologie interventionnelle.
Références : Antoine Fraissenon, Charles Bayard, Gabriel Morin, Sandro Benichi, Clément Hoguin, Sanela Protic, Lola Zerbib, Sophia Ladraa, Marina Firpion, Thomas Blauwblomme, Olivier Naggara, Michael Duruisseaux, Marion Delous, Clothilde Boitel, Pierre-Paul Bringuier, Léa Payen, Christophe Legendre, Sophie Kaltenbach, Estelle Balducci, Patrick Villarese, Vahid Asnafi, Annouk Bisdorff, Laurent Guibaud, Guillaume Canaud – New England Journal of Medicine